Littérature canadienne
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Chercher l’autre et trouver soi

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Quelle est l’œuvre que je recommande à une amie au cœur brisé? C’est, sans hésitation, Un si joli visage de Lori Lansens (Les filles, 2006; Les égarés, 2017). J’ai lu ce roman alors que j’apprivoisais le célibat après avoir été en couple pendant presque dix ans. Drôle, touchant et inspirant, ce roman m’a, à ce moment, fait beaucoup de bien.

Mary Gooch est captive dans sa petite ville ontarienne, dans son emploi de subalterne à la pharmacie, dans ses magazines à potins et dans ses émissions de télévision. Elle est aussi emprisonnée par son corps très lourd, puisqu’elle a, pendant toute sa vie, calmé ses angoisses et noyé ses chagrins avec de la nourriture.

Elle s’inquiétait de ce qu’elle allait manger et ne pas manger. Du moment et de l’endroit où elle mangerait ou ne mangerait pas. Elle s’inquiétait d’avoir trop mangé ou de ne pas avoir assez mangé. Elle redoutait l’hypertension, le diabète de type 2, l’athérosclérose, la crise cardiaque, l’AVC, l’arthrose. Le mépris des inconnus. La vérité qui sort de la bouche des enfants. La mort subite. La mort lente. p. 8

Mise à part la nourriture, son mari Jimmy Gooch est le centre de son univers.

Gooch avait été son premier amour. Son compagnon. Son partenaire. La seule famille qui lui restait. Pour elle, le temps se divisait en deux : « avant Gooch » et « après Gooch ». p. 32

L’« après-après-Gooch »

Le jour de leur 25e anniversaire de mariage, Jimmy ne rentre pas à la maison après le travail. Mary s’attend alors à recevoir un appel de la part de Gooch, ou encore de la part de la police lui annonçant que ce dernier a eu un accident. Mais le téléphone reste muet.

Elle ne parle à personne de la disparition, de peur d’être jugée. Les autres se diraient sûrement qu’il est normal que Gooch l’ait quittée. Quelques jours plus tard, elle reçoit enfin une lettre signée par son mari. Ce dernier lui explique les 25 000 $ que Mary vient de découvrir dans leur compte en banque. Il a gagné à la loterie et lui a donné une partie de l’argent. Il en a profité pour fuir, car il a besoin de temps pour réfléchir.

Celle qui n’a jamais voulu déranger personne envoie promener son patron et part à la recherche de Gooch. Elle retrouve à Toronto sa belle-sœur qui lui avoue avoir vu Jimmy avant son départ pour la maison de leur mère, en Californie. Mary ne peut le suivre jusque-là : elle n’a jamais quitté la ville ni jamais pris l’avion. Une succession de mésaventures la mènera cependant à l’aéroport. Elle s’envolera donc vers Golden Hills, à la recherche de son mari.

Les bons mots et les bonnes personnes, aux bons moments

Mary continue de faire face à des difficultés une fois rendue en Californie. Elles l’amènent cependant à faire la rencontre de gens qui l’aideront, à leur manière, à s’émanciper.

Par exemple, un conducteur de limousine lui offre de la raccompagner de l’aéroport vers la maison de la mère de Gooch. Touché par la quête de Mary, il s’arrête en chemin pour lui faire rencontrer Frankie, qui lui fera subir une métamorphose afin de lui redonner confiance en elle.

Devant l’immobilité de Mary, Frankie murmura :

– Tu as besoin d’intimité, d’accord. Mais laisse-moi te dire une chose. Je peux me le permettre parce que nous sommes grosses, toutes les deux. Si tu penses que ton mari t’a quittée à cause de ton poids, tu devrais remercier Dieu d’avoir une deuxième chance.

– C’est pour ça que ton mari t’a quittée, toi?

– Il m’a quitté parce que j’étais malheureuse. J’étais perpétuellement au régime. Bob m’aime grosse. Il m’a appris à m’aimer comme je suis. Si un détail te déplait à ton sujet, change-le. Sinon, aime-le. Il n’y a rien entre les deux. p. 256

En Californie, Mary aide un homme blessé, elle s’occupe des enfants turbulents d’une mère monoparentale et elle accompagne sa belle-mère endeuillée. Elle prend conscience qu’elle se débrouille et qu’elle existe malgré l’absence de Gooch. Elle vit de nouvelles aventures, elle se fait des amis, elle touche enfin à l’eau salée de la mer. En fait, elle vit, tout simplement, enfin. 

Il ne s’était pas écoulé plus de quatre minutes depuis le moment où elle s’était engagée dans le passage pour piétons. Et voilà qu’elle était au fond de la fourgonnette d’un inconnu, la main d’un Mexicain qui pissait le sang dans la sienne. Voilà ce qui arrivait aux gens qui sortaient des ornières de leur quotidien confortable. p. 343

Candeur, humour et empowerment

Quand on a été longtemps en relation, il me semble qu’il fait bon de se rappeler que l’on est plus que la moitié d’un couple. Et lors d’une rupture, ce n’est pas toujours simple de se retrouver face à soi, de (re)découvrir qui nous sommes, sans l’autre. Après ma séparation, lire Un si joli visage m’a donné le goût d’oser sortir de mes ornières, d’aller voir ailleurs si j’y étais et de rencontrer celle que j’étais vraiment. Ça a mené à des voyages, des déménagements et des projets un peu fous, mais surtout de nouvelles et précieuses amitiés.

Il y a beaucoup de « messages » sur la confiance en soi dans le livre, mais ils sont très simples, souvent subtilement insérés dans le texte avec beaucoup d’humour et un peu d’ironie.

L’autrice donne accès aux pensées de Mary, et il est facile de se reconnaître dans les réflexions du personnage, dans ses hésitations, ses angoisses, et plus tard, dans ses rêves. Cette dernière est attachante, certainement en raison de sa candeur. Elle s’adresse parfois à un dieu féminin et elle laisse des messages à la troisième personne sur le répondeur du cellulaire de son mari, comme si la « voix » allait transmettre le message :

– C’est encore Mary Gooch. Il est huit heures quarante-cinq. Pourriez-vous demander à Jimmy Gooch de rappeler sa femme au travail, s’il vous plait. Merci. p. 99

Mais il y a un mais…

Il y a plusieurs sections du texte qui m’ont fait rire aux éclats, d’autres qui m’ont touchée. Cependant, en refermant la couverture, je me suis questionnée où l’autrice voulait en venir avec la perte de poids de Mary, qui survient pendant qu’elle est en Californie. En effet, pendant son voyage, celle-ci perd totalement l’envie de manger, et « fond ». Est-ce réaliste de penser qu’une personne qui a « mangé ses émotions » pendant 25 ans cesse de le faire, du jour au lendemain, dans une période de bouleversements aussi intenses? Je sentais que sa liberté était inversement proportionnelle à son poids. N’est-ce pas un peu facile de faire un lien (délibéré ou non) entre le bonheur et l’espoir de Mary et sa minceur en devenir?

La quête du roman est la recherche de Gooch, qui semblait être un mari bon et affectueux. Cependant, au cours de la lecture, j’en suis venue à me demander si c’était une bonne chose pour Mary qu’elle le retrouve.

Quelle est l’œuvre que vous recommandez à vos amis au cœur brisé?

 

Un si joli visage, Lori Lansens, Éditions Alto, 2011, 536 pages (traduction de A Wife’s Tale, publié chez Knopf en 2009).

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