Il n’y a plus rien d’étonnant lorsque vient le temps d’aborder la question de l’anxiété de performance liée à l’avènement des réseaux sociaux . Depuis Facebook, Instagram et tutti quanti, l’expression «l’herbe est toujours plus verte chez le voisin» prend des proportions ridicules directement liées au nombre de gens auxquels nous sommes en mesure de nous comparer. Malheureusement, ces gens, pour la plupart des inconnus, sont maintenant des millions, et ce, à quelques clics seulement.
L’uniformité stylistique qui s’étend à nos gardes-robes, à nos maisons ou à notre manière de cuisiner s’étend également à nos lectures. Combien de photos soigneusement mises en scène de livres peut-on trouver sur Instagram? Il n’y a pas de limites. C’est parfois inspirant, ça nous permet peut-être de trouver des idées pour nos prochaines lectures ou d’avoir plus facilement accès à des auteurs auto-publiés. Par contre, bien souvent, les mêmes titres à la mode reviennent sans cesse dans nos newsfeeds, créant une impression de répétition lassante.
Depuis quelques années, j’ai l’impression que les gens s’efforcent d’avoir tous les mêmes goûts ou presque. Les mêmes préférences vestimentaires, cinématographiques, musicales, alimentaires, comme si cette mondialisation monstre qu’Internet a rendue si facile avait éliminé de facto toutes traces d’individualité. Et je m’inclus, bien sûr, dans le lot.
Il n’y a pas si longtemps, je choisissais mes livres au hasard de mes visites en librairie et à la bibliothèque, ne me fiant qu’aux suggestions faites en fonction de mes précédentes lectures par mes quelques ami.e.s très proches. Je les notais ensuite dans un calepin, question de me souvenir de ce que je voulais lire ou de ce que j’avais lu. Maintenant, je suis une avide utilisatrice de l’application Goodreads depuis 2012, et me fixe à chaque 1er janvier un objectif quantifiable de livres à lire pendant mon année.
Bien sûr, de noter mes lectures sur une plateforme web m’aide à tenir le compte. Par contre, je remarque que le ridicule chiffre choisi en début d’année me met une pression totalement inutile de performance de lecture. Je prends moins le temps de savourer chaque page et, j’ai honte de l’avouer, je choisis parfois mes lectures en fonction de leur «facilité» ; prendre le temps de lire et de comprendre Spinoza, par exemple, devient un boulet qui me ralentirait dans mon but à atteindre. Je ne vous le fait pas dire; c’est d’un ridicule sans nom!
Et que dire des livres que je choisis de prendre en photos et de partager? C’est comme si certains livres, par exemple ceux de croissance personnels, me faisaient honte (même si quelques uns d’entre eux m’ont littéralement sauvé la vie, je pense entre autres à l’oeuvre de Nicole Bordeleau). Premièrement, depuis quand est-ce que partager mes lectures avec d’autres gens que mes *vrais* amis est devenu primordial, et deuxièmement, depuis quand est-ce que je ne me fous pas de mon street cred littéraire, de mon street cred tout court?
Cette pression que je ressens à sans cesse tout partager avec autrui est en train de miner mon expérience de lecture, il faut que je l’admette. Mais par où commencer? Dois-je me mettre à absolument tout partager ce que je lis question de briser la monotonie que je décrie tant? Ou dois-je simplement cesser carrément de rendre mes lectures accessibles aux autres par Internet?
Et vous, ressentez-vous une «pression (réseau) sociale littéraire»?
Si oui, de quelle manière se traduit-elle chez vous?
Je trouve que ton article est très pertinent et porte à réflexion. Je t’avouerais qu’en début d’année, j’ai lu quelques livres seulement parce que je les avais souvent vu passer sur Instagram! Après plusieurs lectures peu satisfaisantes, j’en suis revenue à mon ancienne façon de choisir des livres; je bouquine, je cherche, je m’informe… J’adore bookstagram car ça nous permet d’échanger avec d’autres passionnés comme nous. Mais oui, je trouve que trop souvent les lectures des abonnés sont uniformes. C’est pour ça, je pense, qu’il ne faut pas se laisser influencer, tant dans nos choix de lecture que dans ce qu’on choisit de partager par la suite.
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