« Enfant il a volé une poupée à sa sœur
par un tout petit trou dans le pied
l’a vidée de sa mousse
on l’a retrouvé dans la garde-robe
inconsolable
la bouche ouverte pleine de bourrure
il essayait de se remplir. »
(p. 45)
J’ai découvert Mireille Gagné en octobre dernier, lors de la dernière édition de la Nuit de la poésie organisée par Québec en toutes lettres. C’était la première fois que j’assistais à l’événement et j’ai été étonnée par le nombre de spectateurs venus assister aux lectures – nombre qui dépassait sûrement la capacité sécuritaire de la salle, d’ailleurs! La poète gruoise (on n’a pas assez souvent l’occasion d’utiliser le gentilé de L’Isle-aux-Grues!) y a lu des extraits de son dernier recueil. Sa lecture a été mon coup de cœur de la soirée et, dès le lendemain, j’ai couru à la librairie me procurer son livre : Minuit moins deux avant la fin du monde.
Tic, tac… Tic, tac…
Le titre du recueil fait référence à l’horloge de la fin du monde, créée en 1947 à l’Université de Chicago. Il s’agit d’une horloge métaphorique visant à illustrer l’imminence de notre disparition – minuit représentant le moment fatidique où l’humanité s’autodétruira! Chaque année, le décompte est mis à jour, la grande aiguille avançant ou reculant selon les conjectures, dans le but d’éveiller les consciences sur l’état du monde. Depuis 2018, l’horloge affiche minuit moins deux. La seule fois où l’aiguille s’est trouvée aussi près d’atteindre l’heure zéro, c’est en 1953, lorsqu’on est passés à deux doigts du conflit nucléaire entre les États-Unis et l’Union soviétique. Il y a de quoi s’inquiéter : je ne crois pas que cette horloge soit munie du bouton snooze!

Tempus fugit
À l’instar de l’horloge apocalyptique, le recueil de Mireille Gagné se lit comme un compte à rebours, qui entraîne inexorablement le lecteur vers… la fin! Les poèmes prennent la forme de petites histoires surréalistes peuplées de personnages en mal de vivre, s’efforçant de combler le vide de leur existence, cherchant désespérément une sortie de secours pour échapper à leur vie.
« Il avait presque perdu espoir
de voir arriver le camion
il a levé les bras
les pinces ont serré fort
(…)
la tête la première dans la benne à ordures
l’éboueur a actionné la lame de compactage
c’était un jour de grosses vidanges
ils étaient au moins mille à vouloir se débarrasser d’eux-mêmes. »
(p. 67)
C’est une poésie accessible, originale, créative et intelligente. Le texte est habilement tourné et stimule l’imagination. Tantôt touchantes, tantôt amusantes, les images évoquées sont frappantes et ne laissent pas indifférent.
Cette lecture trop brève éveille un sentiment d’urgence : le décompte est lancé! Les vers s’enchaînent et nous rappellent que le temps file à toute vitesse, que si on n’y prend pas garde, la vie nous échappe. Mais les mots nous insufflent aussi un air de changement; les secondes qui s’égrainent nous pressent d’agir. Malgré l’instinct de mort qui nous habite, l’autodestruction n’est peut-être pas inévitable. Il n’est jamais trop tard pour commencer à vivre! On aura peut-être droit à un sursis…
« La fin du monde a pris du retard. »
(p. 70)
Si l’existence humaine était sur le point de prendre fin, comment occuperiez-vous les deux dernières minutes de votre vie?