Et au pire on se mariera est un roman publié par la Française adoptée du Québec, Sophie Bienvenu. Ce texte a fait couler beaucoup d’encre, autant par sa richesse langagière que par son propos cru et touchant. Présenté au théâtre depuis peu, le roman verra le jour au grand écran d’ici quelque temps et sera réalisé par l’incroyable réalisatrice Léa Pool. J’ai trop hâte de voir le résultat final : une de mes réalisatrices préférées qui rencontre un roman qui m’a complètement charmée !
En effet, dès le début, ça a été un coup de foudre. J’ai découvert ce livre en travaillant dans une libraire, j’avais remarqué le titre pour son approche familière et le ton un peu mi-comique, mi-tragique. S’en est suivi une critique de Pierre Foglia et hop, les quelques exemplaires de la librairie disparaissaient… Ça a donc piqué ma curiosité et moi aussi, je me suis commandé le roman. Comme des dizaines de clients, d’ailleurs.
Wow. Dès les premières lignes, on se sent transporté dans la vie d’Aïcha. On sent tout de suite l’énergie, la personnalité et la douleur du personnage. Son langage croche et véritable nous fait frémir ; on entend les paroles et la mélodie en lisant le roman. Le monologue de la jeune Aïcha, 13 ans, s’entend à merveille et dès le commencement, on y croit.
Le texte, conçu sous forme de monologue, raconte l’histoire d’Aïcha, une ado qui vit mal la séparation de sa mère avec son beau père. Ce beau-père, un peu trop aimé par Aïcha, suscite beaucoup de non-dits et de questionnements. On ne sait jamais vraiment la nature de leur relation, mais au fond, on sait tous qu’il a dû exister entre eux un mauvais amour, une relation qui n’aurait pas dû arriver entre un homme mûr et une jeune fille de treize ans. La séparation voulue par la mère ainsi que l’incompréhension et la douleur de l’adolescente laisse comprendre la dureté et la vulnérabilité de la TRÈS jeune et naïve Aïcha.
« Elle est conne, ma mère. Elle pense que plus tu cries, plus on t’entend. Alors que c’est quand tu chuchotes qu’on t’entend le mieux »
Très forte et poignante, on a envie de la prendre dans nos bras quand elle nous explique que sa mère a eu tort d’envoyer le beau-père hors de la maison. On a encore envie de la protéger quand elle tombe amoureuse de Baz, un gars deux fois plus vieux qu’elle ; quand elle se laisse entrainer dans une histoire de passion et de désir d’adulte alors qu’elle n’est qu’une enfant, on a envie de la ramener chez elle ; quand elle devient amie avec des prostituées du Centre-Sud et qu’elle parle comme une adulte, on a envie de lui rappeler son âge. Sauf que les drames et les événements de sa vie ont fait en sorte qu’Aïcha a grandi bien plus vite qu’elle ne l’aurait dû. La douleur et la pulsion d’aimer qui l’animent nous font voir la complexité de ses rapports familiaux et de son enfance : cela nous désole, mais surtout, nous convainc.
Aïcha n’est pourtant pas stéréotypée et idiote : elle est seulement une jeune adolescence qui découvre les pouvoirs du désir et de l’amour. Son passé un peu tout croche et son besoin d’aimer un peu trop fort l’entrainent dans des situations où c’est l’envie qui passe sur le dira-t-on correct.
« C’est comme une super caresse vraiment le fun, partout sur ton corps et en dedans en même temps. Imagine qu’avec tous les pores de ta peau, tu manges un truc vraiment bon… »
Ce que j’ai le plus apprécié du texte est le flou ambiant. Sophie Bienvenu suggère au lieu d’affirmer. Sans savoir vraiment à qui Aïcha s’adresse, tout au long de son monologue, on peut penser que c’est une travailleuse sociale, une policière, une employée scolaire, bref ce non-dit contribue à axer l’attention du lecteur sur la pensée d’Aïcha. Sa façon de concevoir sa vie et surtout, les mots qu’elle emploie pour raconter, nous entrainent dans une ribambelle qui ne nous fera pas fermer le livre aussi tôt qu’on ne l’aurait cru.
Selon moi, c’est le genre de livre qu’on lit en un trait.
Loin de moi l’idée de vous spoiler la fin comme on dit, mais je vous encourage à prendre quelques heures pour entrer dans le monde cru, cruel et fort initiatique de la jeune Aïcha. La chute du roman, tout comme les thèmes non- conventionnels en valent la peine, simplement pour la véracité du personnage et pour la musicalité de la voix d’Aïcha. On ferme le roman le coeur twisté et, encore une fois, on a envie de la prendre dans nos bras, la jeune Aïcha.
**L’auteure vient tout juste de publier Chercher Sam, une oeuvre qui traite de l’itinérance et de l’amour entre un homme et son chien. Acheté la semaine dernière, j’ai déjà hâte de le lire et de vous en parler !**
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