Je dois l’avouer, j’ai un petit béguin littéraire pour l’œuvre de Jean-Christophe Réhel ces temps-ci. Après avoir dévoré Ce qu’on respire sur Tatouine l’automne dernier, j’ai récemment succombé à son recueil de poésie La fatigue des fruits. Comme Réhel se définit d’emblée comme un poète, cette lecture a représenté une merveilleuse découverte de sa passion première et une confirmation de son immense talent. Plusieurs personnes m’avaient vivement recommandé la lecture de sa dernière œuvre, et je me suis laissée convaincre sans grande difficulté.
Des thématiques récurrentes
Les thèmes abordés dans La fatigue des fruits ressemblent à ceux que l’on retrouve dans Ce qu’on respire sur Tatouine : la maladie, la solitude, la lassitude du quotidien et le sentiment d’être inadéquat, notamment. Par contre, dans La fatigue des fruits, l’art de la poésie nous suspend dans un espace-temps indéfini, contrairement au roman. Dans cet état « flottant », on se laisse bercer par l’éloquence de l’écrivain et on peut apprécier davantage toute la beauté de sa plume, vu l’absence des exigences d’un récit narratif :
ça doit être ça
les fenêtres sont parties elles ont laissé
des bouts de ciel sur mes jeans
quand je regarde le monde me regarder
c’est autre chose que je vois
c’est ma santé mentale que j’habille
c’est notre orage préféré
c’est les assurances que je n’ai pas
cette nuit les perséides
sont toutes dans mes poches
je donne de la marde au soleil
parce que je vis caché dans l’esprit fragile
je vois notre lit descendre vers le fleuve
je n’aime pas les enfants
alors j’élève les choses que je peux élever :
le hamster la plante la poussière sur les meubles
je me jette sur une langue
pour sentir l’état du monde
L’éternelle absurdité de l’existence
Il est difficile d’expliquer ce qui réconforte dans l’écriture d’une personne qui raconte son quotidien. De prime abord, ce pourrait être extrêmement banal et inintéressant, mais la plume de Réhel réussit à nous bouleverser par sa beauté, sa tendresse et sa finesse. Bien sûr, la maladie du poète – qui souffre de fibrose kystique, rappelons-le – transparaît dans la fatigue de vivre qu’il expose dans son recueil. Néanmoins, Réhel exprime beaucoup plus que son état maladif dans ses poèmes; il y raconte la détresse et la lassitude de vivre que tout être humain ressent au moins une fois dans sa vie à l’égard de l’absurdité de l’existence. Ses vers révèlent l’absence de sens de la vie et de la maladie. C’est probablement cela qui nous fait du bien : trouver un réconfort dans l’expérience de l’autre, qui réussit à mettre en mots des émotions inexprimées et pourtant si universelles.
Qui plus est, tous ces sujets sont évoqués avec une écriture très accessible, les vers de l’écrivain étant à la fois si simples et si bouleversants. Il est rare qu’une poésie rassemble à la fois une grande accessibilité et une émouvante beauté. Beaucoup de gens sont rebutés par la poésie parce qu’ils croient ne pas avoir les codes littéraires ou les connaissances nécessaires pour la comprendre. Or, on n’a pas besoin de connaître de codes avec Réhel. On a seulement besoin d’être humain pour comprendre sa poésie :
des larmes tellement lourdes et solides
des larmes que je dois jeter
une par une
à la poubelle
et vider la poubelle et la remplir chaque jour
et vivre en sachant
qu’il n’y aura jamais assez de sacs
pour les larmes à jeter
pour les larmes à garder
pour les larmes qui me font penser
à la douceur de ta peau
à la douceur infinie de ta peau
À mes yeux, l’écriture de Jean-Christophe Réhel ne ressemble à aucune autre; elle sort du lot et m’épate continuellement. Réhel est le genre d’auteur qui suscite en moi un désir de lire tout ce qu’il écrit, ce qui me semble un exploit en soi. Ma prochaine étape littéraire : la lecture de ses autres recueils de poésie, notamment La douleur du verre d’eau et Les volcans sentent la coconut, dont le titre me donne déjà envie de le dévorer (littéralement).
Et vous, quel.le.s sont les auteurs.trices dont vous souhaitez lire l’entièreté de l’oeuvre?