Auteur : Florence Morin-Martel

L’Inde littéraire (3e partie) : La Cité de la joie

J’ai lu La Cité de la joie au creux de l’automne montréalais. J’avais les blues et c’était profond. S’ennuyer d’un lieu, c’est sournois. Il suffit d’entendre une bribe de conversation ou de sentir un arôme, et c’est tout de suite la boule dans la gorge. Mais avec le récit de Dominique Lapierre, j’étais en Inde au mois 15 minutes par jour. En lisant les premières pages du roman, je pensais d’emblée avoir tout compris : l’histoire se déploierait sous la forme d’une saga familiale, le paysan Hasari Pal au centre de cette épopée. J’ai vite changé d’avis en constatant que j’avais affaire à une forme romanesque de Humans of New York, version Calcutta. Tout comme ce projet, les photos en moins, il était ici question d’humaniser la ville, un récit de vie à la fois. D’un chapitre à l’autre, le kaléidoscope que représente Calcutta prend forme. Ce sont d’abord les déboires, les luttes, les échecs et les tentatives désespérées qui prédominent : la ville est sans pitié. Mais lorsqu’on finit par apercevoir la joie, celle qui donne son nom au lieu, c’est …

L’Inde littéraire (2e partie) : L’équilibre du monde

Après avoir fini Shantaram, j’étais désormais au Bihar, l’un des états les plus pauvres et les plus peuplés de l’Inde. Un peu plus de 100 millions d’habitants, juste pour vous dire. C’est dans cette région où Bouddha aurait eu son illumination que j’ai poursuivi mes lectures indiennes avec le roman L’équilibre du monde de Rohinton Mistry. Deux mois après l’avoir lu, je n’arrive toujours pas à m’expliquer ce qui m’a autant choquée et émue; c’est sans doute le livre qui m’a fait vivre le plus d’émotions jusqu’à ce jour. Peut-être est-ce la magnifique plume de Mistry qui rend ses personnages si humains, si attachants, qu’on ne peut supporter qu’une injustice de plus leur arrive. Peut-être était-ce aussi de constater que le récit que j’étais en train de lire pouvait être celui de l’homme assis près de moi dans le train, celui qui regardait curieusement le livre dans mes mains. C’est dans une Inde en plein changement, aux lueurs de son indépendance, que se campe L’équilibre du monde. Tout commence avec Dina, une femme qui ne peut se résoudre à abandonner …

L’Inde littéraire (1re partie) : Shantaram

En faisant mon sac à dos pour partir en Inde, il était évident que le roman Shantaram de Gregory David Roberts devait me suivre jusqu’au sous-continent indien. Percevant ce livre comme un laissez-passer, j’avais l’impression qu’il m’aiderait à me forger au contact des multiples réalités de ce vaste pays. L’envie de lire ce roman était née grâce aux mots des autres, au fil des conversations où l’on s’évade et se promet d’aller un jour en Inde (ces moments ont lieu généralement très tard quand les bouteilles s’empilent…) C’est donc là-bas que j’ai entamé ma lecture, faisant résonner les mots de l’auteur avec ce que je voyais. Récit d’aventure, un genre qui convient parfaitement à l’effervescence et au mouvement constant du pays, Shantaram oscille entre la fiction et les mémoires du romancier. Dans cette brique de quelque 900 pages, c’est d’abord l’histoire de l’exil dont il est question, celle où le protagoniste, Lin, apprend à ses dépens que la fuite n’est qu’une autre prison au périmètre élargi. À la suite de son évasion d’une prison australienne, c’est l’Inde qu’il décide d’élire comme nouveau domicile …

Guides de voyage : comment s’y retrouver

Lorsque je pars en voyage, je suis méthodique. « Le plan c’est qu’il n’y a pas de plan » n’est pas tout à fait ma philosophie. Pour me mettre l’eau à la bouche, j’épluche mille guides, je lis des fictions à propos du pays, je regarde des films et je google des villes juste pour voir si je me laisse tenter. J’aime m’imaginer dans chacune des destinations, et surtout, j’aime lire les guides de voyage. Je prends un malin plaisir à aller à la boutique Ulysse, avide d’ajouter un nouveau Lonely Planet ou un Routard à ma collection. Je m’enthousiasme à la vue des cartes, du top 10 des endroits à visiter et des caractéristiques de chaque région. Avec l’arrivée de l’été, je remarque autour de moi l’éclosion de projets de voyage : on est plusieurs à vouloir ajouter son épingle sur la carte du monde. Mais choisir son guide de voyage, c’est un peu comme choisir son compagnon de route. On peut avoir parfois envie de le critiquer, se dire parfois qu’on n’a pas besoin de lui, mais …

Naufrage : perdre sa job et le sens de sa vie

J’ai toujours voué un immense respect à la plume de Biz. Les textes de Loco Locass sont riches autant sur le plan politique, littéraire que mythologique. La parution de Naufrage a tout de suite attiré mon attention, j’étais intriguée de voir ce que donnerait son style en roman. Et je vous avertis, le résultat est un véritable coup de poing. Le dernier jour d’un fonctionnaire Tout commence avec l’annonce de la mutation aux archives du personnage principal. Frédérick Limoges, quadragénaire satisfait, perd son poste dans le domaine des statistiques pour être désormais littéralement payer à ne rien faire. D’abord perçu comme une condamnation à être tabletté, ce changement prend des proportions désastreuses qui se répercutent dans toutes les sphères de sa vie. Le sous-sol qu’il a désormais en guise de bureau lui apparaît de prime à bord comme la maison qui rend fou des Douze travaux d’Astérix, un infini labyrinthe bureaucratique, puis comme l’univers d’Alice aux pays des merveilles, de par son incongruité. Son nouveau lieu de travail finit même par lui évoquer The Shining, …

Natasha Kanapé Fontaine : la poésie de la revendication

Natasha Kanapé Fontaine est une poète innue. Engagée et articulée, on la retrouve sur tous les fronts : du mouvement Idle no more aux arts de la scène (la pièce Muliats à venir en février), en passant par la Wapikoni mobile. Ses deux recueils de poésie, N’entre pas dans mon âme avec tes chaussures et Manifeste Assi, en ont fait un incontournable de la poésie émergente. Entre militantisme, environnement et identité, son œuvre se découpe tout en finesse, simplement belle. Reconnaître la culture pour ne pas l’écraser Le premier recueil de l’auteure, désormais disponible en version anglaise, est empreint d’une sensualité toute particulière, celle-ci est soudée au territoire dans lequel elle se déploie. Mais si cette poésie est charnelle, elle est aussi celle des non-dits. Les grands espaces blancs marquent les silences, les regards qui se ratent, mais les mains qui se touchent. Du thème amoureux, le recueil dérive doucement vers celui des ancêtres, de l’espace mémoriel et des legs culturels. Un peu comme un appel à laisser la culture pénétrer l’intimité, à composer avec …

Le secret le mieux gardé d’Asie du Sud-Est

Il existe des passions que l’on peut s’expliquer et d’autres que non. Dans mon cas, le Myanmar fait partie de la deuxième catégorie, il a toujours exercé une étrange fascination sur moi. Pays situé entre l’Inde et la Thaïlande, j’en avais entendu parlé la première fois à cause des violentes répressions politiques qui y avaient lieu. Mais au fil de mes curiosités, il était devenu nécessaire que j’y aille. Derrière tout ce qu’on disait, je soupçonnais quelque chose de beau. Et je ne m’étais pas trompée. Avant d’y mettre les pieds, le Myanmar (ancienne Birmanie) était pour moi l’altérité absolue, l’Orient fantasmé avec tout son lot de clichés. Mais ce serait vous mentir que de dire que j’y ai été dépaysée. La propension des gens à vouloir établir un lien avec moi a fini par constituer un point d’ancrage bien plus que solide. Partir n’a pourtant pas été un coup de tête, j’ai longtemps jonglé avec la question. Était-ce éthique d’aller faire du tourisme dans un pays où le régime en place était tristement connu …

Au menu ce soir: festins littéraires et autres gloutonneries romanesques

J’aime la bouffe. Je l’aime d’amour. Si je n’étais pas en couple (Salut Guigui!), je serais sûrement en relation avec elle (j’exagère à peine). Maintenant que c’est dit et que vous êtes au courant de ma relation particulière avec cette ô combien magnifique chose, je peux entrer dans le vif du sujet. Avez-vous déjà interrompu votre lecture pour vous concocter une petite collation parce qu’un livre vous avait donné trop faim avec ses descriptions culinaires? Eh bien, moi oui. Et plusieurs fois, ohhh oui. En plus de nous faire saliver, la présence de la cuisine en littérature parle beaucoup. Elle nous renseigne sur les mœurs de certaines cultures, donne une autre dimension aux personnages, rajoute une palette de goûts et d’odeurs pour étoffer notre imaginaire. J’ai donc fouillé ma bibliothèque à la recherche d’œuvres où les repas n’étaient pas qu’accessoires, ils étaient au centre de la construction littéraire. C’est à partir des romans de Kim Thúy, Franz-Olivier Giesbert et Dany Laferrière que j’ai créé un menu entièrement littéraire qui donne envie de passer du livre …

Lire, voir et vivre l’America del Sur

C’est avec les yeux pleins d’eau qu’on a dit au revoir à la Bolivie. Elle nous avait tant donné, tant appris, qu’en quittant la ville je me suis sentie comme une voleuse, je dérobais quelque chose de précieux. J’ai pleuré sans relâche de l’auberge jeunesse jusqu’à l’aéroport. Une vraie Madeleine dans le taxi sous le regard perplexe du chauffeur. Partir m’avait semblé, à ce moment-là, tellement incongru. Ce n’est d’ailleurs peut-être pas un hasard, ni seulement la faute de l’alcool, si je me suis trompée et que j’ai fait la file pour aller à Bogotá, et non à Montréal. Le douanier a senti nos haleines alcoolisées bien avant de nous voir. Il rit, fouille sommairement mon sac et joue un air sur la flûte de pan que j’ai ramenée. Voilà un adieu à l’image de mon voyage. Sur les routes de l’Amérique du Sud, j’ai cru mourir. Les trajets en lacets, au ras des falaises, et les glissements de terrain m’ont valu plusieurs serrages de mâchoires. Mais ces souvenirs ne sont pas les plus vifs, …

Pour un imaginaire du road trip québécois

L’Ouest a été mon tout premier amour. Après il y a eu l’Amérique du Sud et prochainement il y aura l’Asie, mais il a fallu commencer quelque part. Quatre jours de Greyhound bus, de Montréal à Vancouver, pour aller vivre le voyage que plus d’un Québécois décide de faire. L’image de la vallée d’Okanagan restera toujours un peu dorée pour moi, un souvenir agréable qui glisse sur la peau. Au retour de l’Ouest, j’ai longtemps espéré tomber sur un livre qui aurait relaté mon expérience. Je n’avais qu’à l’écrire, me direz-vous. Oui, tout à fait. Mais pour l’instant, par pudeur ou par simple lâcheté, mes écrits incomplets qui tiennent davantage du cadavre exquis que du roman resteront cachés. Les Kerouac, Djian et Bouvier de ce monde l’ont fait. Ils ont écrit la route, l’ont couchée sur papier. Du côté du Québec, les ouvrages Chercher le vent de Guillaume Vigneault et Volkswagen Blues de Jacques Poulin ont été mes premiers contacts avec ce genre de récit. Aujourd’hui, je peux affirmer que ces auteurs ont contribué à …