Je sais qui je suis. Mais je sais aussi que cette affirmation est bien peu suffisante pour répondre à tous nos questionnements. Bien que j’aie la certitude d’être née un premier juin 1992 à l’hôpital Saint-François-d’Assise de parents heureux et aimants, je n’en demeure pas moins curieuse de mes origines et de tout ce qui a pu façonner la personne que je suis devenue. Certaines qualités me proviennent directement de mes géniteurs d’amour, mais aussi (malgré le déni), plusieurs défauts. Nous sommes toujours fiers d’étaler nos talents et nos connaissances, mais toujours peureux à l’idée d’avouer aux autres ce que nous savons trop peu.
Je crois que la plus grande question de tous les temps est sûrement celle qui nous angoisse tous le plus : qui sommes-nous? Même si nous connaissons notre parcours sur le bout de nos doigts et que nous prenons rapidement conscience de ce qui nous fait vibrer et de ce qui nous envenime, il n’en demeure pas moins que la conscience de soi est une quête infinie. Comment savoir si nous sommes à la bonne place au bon moment? Ou si le bon se démarque du mauvais? Mais surtout, est-il possible de se définir sans le regard d’un parent?
Tous ces questionnements sont au centre d’une œuvre vibrante qui a su se démarquer au courant de l’année 2017. En effet, le premier roman de Lisa Ko, The leavers, est encensé par la critique américaine depuis sa sortie. Définissant le rôle de l’Amérique dans l’immigration, Lisa Ko nous offre une histoire bouleversante et percutante qui nous pousse à nous questionner sur l’inévitable nécessité de respecter nos origines.
Home Alone
The leavers est le récit de Deming Guo, jeune homme d’une douzaine d’années, et de sa mère Polly. Tous deux d’origine chinoise, ils évoluent au sein de la société américaine dans un petit appartement délabré de New York avec d’autres colocataires. Un jour, la mère de Deming part travailler au salon de manucure et ne revient jamais. Abandonné à lui-même, le jeune Deming se verra par la suite adopté par une famille américaine. Voulant faire de lui à tout prix la figure parfaite de l’american kid, elle le renomme Daniel. Mais au fil des années, les choses n’évoluent pas au rythme des attentes des parents adoptifs. Maintenant âgé de 19 ans, pris au piège par plusieurs dizaines de milliers de dollars de dettes, Daniel est de retour à New York à la recherche de réponses à ses envies. Rapidement, il en viendra à l’évidence que sa mère biologique n’est pas remplaçable et que sans elle, il ne pourra jamais réellement connaître la personne qu’il est et celle qu’il doit devenir.
The leavers est un magnifique récit sur la famille et sur la dure réalité qui sépare la plupart d’entre elles. C’est une prise de conscience sur l’immigration et sur toute la controverse entourant celle-ci. Mais avant tout, c’est un hommage aux choses que l’on ne peut pas nommer, celles qui nous unissent à tout jamais à une certaine culture, à une religion, ou à un être humain.
Telle mère, tel fils
Alternant les points de vue de la mère et de l’enfant, le livre est extrêmement bien construit et divisé. Nous proposant de longs chapitres où chacun des personnages témoigne sans gêne de ce qui l’habite, on arrive à tracer rapidement un portrait juste de ces deux protagonistes. Se déplaçant entre passé et présent, on assiste à une construction efficace du récit tout en le rendant de plus en plus intéressant. Les raisons qui ont poussé Polly à abandonner son fils demeurent assez vagues pendant un long moment, et pourtant, on ne peut détacher notre regard de ce magnifique personnage très complexe. Ayant fui illégalement pour l’Amérique alors qu’elle était déjà enceinte, ce personnage féminin est ancré par un désir d’évolution et de féminisme. Cette femme qui rêve de voyager, de ne pas se contenter d’une petite vie rangée dans un village en Chine et qui réussit à s’évader malgré les doutes de son entourage est un exemple de pur courage. Personnage fort compliqué, franc et sans méchanceté, on s’accroche facilement à elle et à son désir de liberté. Pour plusieurs immigrants, l’Amérique demeure l’exemple concret d’émancipation. Il est intéressant d’assister à l’avant/après, soit celui de son arrivée dans les années 90, et celui de la prise de conscience dans le moment présent. Un personnage tout en subtilité qui donne au mot « maternité » un tout autre sens.
Même chose pour le personnage de Deming (ou Daniel). Il est intéressant de voir l’évolution de ce personnage, abandonné à un âge où la conscience est assez développée. Ayant souffert toute sa vie de l’abandon de sa mère, c’est comme s’il n’avait jamais vraiment accepté l’amour de qui que ce soit d’autre, de peur de le perdre par la suite. C’est un exemple crève-cœur du trouble de l’attachement et de la peur du deuil. Bien que le personnage soit âgé de 19 ans, on a parfois l’impression qu’il reste encore ancré dans cette réalité du petit garçon de douze ans, comme si la vie s’était terminée lorsque sa mère l’a quitté. N’arrivant pas à se fondre dans un mode de vie typiquement américain, sa résistance devient la marginalité. C’est un homme avec si peu d’assurance et tellement de peurs qu’on en est troublé tout au long de l’ouvrage : même si Deming « s’autosabote », on ressent en lui une lueur de courage et une grande force, comme celle de sa mère. Ainsi, la rencontre entre les deux personnages est très émouvante. Si des années et un monde entiers sans aucun signe de vie les séparent, on sent qu’un lien indéfinissable les réunira à tout jamais. Ils sont deux aimants et ne peuvent évoluer l’un sans l’autre, même à des centaines d’heures de route. C’est une entité qu’il faut démystifier tout au long des 330 pages.
Faire la paix avec le passé
Une des grandes forces de l’œuvre est la simplicité des personnages et des lieux. Puisque le roman s’étale sur une dizaine d’années, Lisa Ko préfère garder le récit propre à ses deux personnages et à leurs proches immédiats. Ainsi, le lecteur peut assister aux retrouvailles de quelques personnages et aux éléments clés de la vie de Deming et Polly. Bien que les personnages soient à jamais habités par l’abandon, ce retour aux sources est une façon de fermer une boucle et de trouver la liberté qui les conditionne depuis leur arrivée en Amérique. Ce qui les délivre et leur rend leur liberté n’est pas l’Amérique en elle-même, ce sont les liens du sang. De plus, le portrait tracé sur l’immigration aux États-Unis est assez troublant, s’intéressant à la déportation, à l’immigration illégale et aux camps de réfugiés. On assiste donc à des moments troublants et révélateurs qui relancent le débat sur la condition de ces gens, sur leur qualité de vie et sur les droits de la personne.
Bien que versant parfois dans le mélodrame, on termine le livre avec un petit baume sur le cœur : Lisa Ko a su illustrer les failles d’un système ainsi que celle du cœur humain.
The leavers ne laissera personne indemne. C’est un livre brillant et touchant qui tantôt nous ébranle, tantôt nous fait sourire. Bien ficelé et dialogué, on comprend rapidement l’attention médiatique dont l’œuvre a été victime. Même en exposant certaines problématiques de la société, The leavers réussit à en soulever une quantité d’autres auxquelles nous devons répondre en tant qu’être humain.
J’ai terminé ce livre avec cette douce sensation qu’est la fierté, car peu importe d’où nous sommes, et où nous allons, il ne faut jamais oublier d’où l’on vient. C’est un retour aux sources qui nous permet d’avancer. Si plusieurs disent qu’il faut laisser le passé au passé, je ne suis pas d’accord. J’ai plutôt la nette conviction qu’il faut parfois regarder en arrière pour mieux se retrouver.
Et vous, quelles œuvres vous ramènent aux sources et vous rendent fiers de vos origines?