C’est par un doux matin de janvier que je me suis plongée dans cette petite palette d’à peine 60 pages qu’est Naissance d’une jungle. Recueil de chroniques écrites par Nancy Huston dans le quotidien indépendant français Le 1, il ne m’a pas fallu plus d’une heure pour passer au travers des cinq textes choisis et réédités dans ce livre.
Les opinions tranchantes de Huston
Dans chacun des cours textes, Huston donne son opinion sur divers sujets d’actualité, et ce, de manière assez tranchante, appuyée et convaincue. Les textes d’opinion de Huston sont à la fois un cri du cœur pour une société plus humaniste, une prise de parole pour l’engagement et l’activisme ainsi qu’un certain désenchantement face à l’état du monde et de nous tous qui y vivons. Suivant la ligne éditoriale du journal Le 1, l’auteure s’intéresse, entre autres, à l’utilisation de la langue française écrite, en France, qu’elle trouve un peu ankylosée, à la quête d’identité et l’identification à une, ou aucune, nation, à l’élection de Trump et, bien entendu, à la littérature.
Toujours un peu dans la littérature
Nancy Huston est, à mon avis, une merveilleuse essayiste. Bien que le cœur de ses écrits soit de la fiction, L’espèce fabulatrice est un essai qui m’avait profondément touchée et qui m’avait d’ailleurs fait découvrir Huston. J’ai donc été à la fois heureuse de retrouver sa plume et son ton, tout autant que ses opinions et son rapport à la littérature qui teinte tous ces textes. Lorsqu’elle parle d’identité, elle mentionne Romain Gary qui, comme elle, « a connu un nombre inhabituel d’identités nationales ». Bien que ces textes soient axés sur l’état du monde, sur la société dans laquelle on vit, la littérature n’est jamais bien loin. Ce que j’ai trouvé on ne peut plus intéressant, c’est la place qu’elle y accorde.
Sortir de la littérature
Cette place qu’elle donne à la littérature, dans ses textes tout comme dans la vie, est celle d’un vecteur d’empathie, certes, mais son cri du cœur porte à sortir l’empathie des livres. J’ai eu l’impression de me retrouver à lire des textes vrais, ni tout noirs, certainement pas tout blancs, sur l’état de notre société et cette idée que d’éprouver de l’empathie à l’intérieur des pages d’un bon roman est obsolète si nous ne sommes pas capables d’en faire autant au quotidien.
C’est une réflexion qui, bien qu’elle semble évidente, m’a fait réfléchir à la place que j’accorde véritablement aux enjeux et aux causes qui me tiennent à cœur. Est-il assez de lire sur le féminisme, l’écologie, l’alimentation? De s’informer pour devenir une meilleure citoyenne si je ne dépasse pas le stade de l’information? J’ai l’impression que, à travers ses divers textes, Huston s’est rendu compte que, pour faire notre part, pour essayer de faire mieux, il ne suffit plus de faire ce qui a déjà été fait, il faut agir autrement.
La civilisation occidentale engendre le roman, assurément un des plus beaux emblèmes de l’empathie humaine, dans le même temps qu’elle envahit et soumet le reste de la terre. Aujourd’hui, nous dominons cette planète et la pompons, l’épuisons et la polluons, la laissons exsangue. Par notre mode de vie qui dépend de la consommation massive de pétrole, de viande et de gadgets électroniques, nous faisons souffrir au loin et à chaque instant des êtres humains et animaux, invisibles mais nombreux. Notre dissociation s’opère dans l’inconscience et surtout dans la bonne conscience. Certes, la littérature est vectrice de beauté et de sens — c’est essentiel! Mais notre empathie doit parfois basculer en dehors des livres pour se traduire en actes politiques… sans quoi nos débats, tables rondes et festivals littéraires se mettront à ressembler douloureusement aux messes et fêtes religieuses d’antan : occasions de se faire plaisir avec le sentiment de notre vertu, tout en se pavanant avec ses nouveaux habits et amis.
Et vous? Quel essayiste aimez-vous lire?
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