Dimanche 22 octobre 2017
Pour une seconde fois en 24 heures, nous nous retrouvons au café Chez l’Éditeur. C’est toujours un plaisir de nous retrouver dans ce café lumineux, entouré de livres, sur cette grande table de bois autour de laquelle les discussions coulent de soi.
Cette fois-ci, pour notre seconde séance de notre club féministe, nous sommes en effectif réduit, à quatre autour de la table et nous nous demandons bien comment nous allons meubler notre temps. En plus, les deux participantes n’ont pas terminé le livre du mois. C’est des choses qui arrivent, surtout lorsqu’on donne à lire un livre de 660 pages tel que L’autre moitié du soleil de Chimamanda Ngozi Adichie.
On profite du petit groupe pour se payer la traite avec les plus gros breuvages chauds possible, parfait pour la clémente température d’automne. On se rappelle qu’en septembre, lors de notre première rencontre, on était en pleine canicule.
Considérant les lectures non terminées nous décidons de changer notre première question habituelle — qu’en avez vous pensez? – pour comprendre ce qui a poussé les participantes à mettre de côté le livre.
Pour l’une, le roman de Chimamanda est plutôt lourd pour ses envies littéraires du moment — à noter qu’on y parle de la guerre civile du Biafra. Alors que pour une autre, c’est plutôt les longueurs et une difficulté à rejoindre le style de l’auteure, malgré le fort intérêt pour le sujet.
Pour notre part, nous avons toutes deux fort apprécié notre lecture. Il est vrai que l’auteure s’étale énormément dans les détails, dans le quotidien et que, par moment, il ne se passe pas grand-chose. Par contre, elle a bien réussi à capter et à garder notre attention, de par l’attachement aux différents personnages, de par l’écriture qui nous immerge complètement dans chacun des moments du roman.
C’est plaisant parce que, malgré la lecture inachevée, toutes sont intéressées par le sujet, par les thématiques et par l’histoire. On se fait d’ailleurs un plaisir de leur raconter les éléments qu’elles n’ont pas lus.
On s’attarde donc à la guerre du Biafra, cette guerre de sécession qui causa d’immenses famines et d’encore plus incommensurables pertes. Chimamanda nous transporte dans le quotidien de ses personnages, avant la guerre et pendant la guerre, les faisant donc évoluer dans un contexte instable qui, petit à petit, les transforme.
Nous pouvons toutes nous entendre sur le fait que la multiplicité des voix rend le récit intéressant, complet et nous offre différents points de vue sur le Nigeria, la guerre et le quotidien de chacun, en fonction du sexe et des classes sociales à laquelle ils et elles appartiennent. S’il y a quelque chose que l’auteure fait très bien, c’est faire ressortir le politique à travers le privé.
On y découvre, à travers ses descriptions, l’importance accordée aux racines, à l’histoire, aux croyances, tout l’amour que porte Chimamanda pour le Nigeria et la culture Igbo. C’est pourquoi il est intéressant de voir que, à la fin du roman, ce n’est pas le personnage de Richard — homme anglais et blanc — qui se doit de raconter, à travers ses écrits, l’histoire de la guerre du Biafra, mais bien Ugwu, jeune boy (servant) igbo que l’on suit tout au long du roman. En donnant ce pouvoir au jeune homme, l’auteure fait visiblement un pied de nez à ceux qui ont cherché à raconter et à s’approprier un événement important qui n’est pas le leur, sans pouvoir se détacher de leur perspective occidentale.
Martine apporte aussi un point intéressant, concernant l’importance de la nourriture tout au long du roman. Tout tourne autour des repas, que ce soit au moment de l’abondance, lorsqu’il y a du poulet dans le réfrigérateur, jusqu’aux famines ou ils ne reçoivent que de la fécule de maïs et un peu de lait en poudre pour survivre. À la fin, il est intéressant de voir comment, une fois la guerre terminée, l’abondance revient rapidement dans les marchés, tout redevient accessible, du jour au lendemain; fait noté par tous, signe véritable que la guerre est finie, même s’ils ont perdu. C’est impressionnant de voir à quel point la nourriture est centrale tout au long de l’histoire, elle régit les actions des personnages et les mène parfois à leurs pertes.
Il est évident que nous avons aussi parlé de féminisme. La posture féministe de l’auteure est claire et nous voulions savoir si les participantes l’avaient aussi sentie, à travers les différents personnages du roman. Les deux sœurs au centre du récit — Olana et Kainene — sont deux femmes fortes, indépendantes, en avance sur leur temps (rappelons-nous que le roman se déroule dans les années 60). On ne peut faire autrement que les proclamer féministes, bien qu’elles ne le font pas elle-même dans le roman.
Finalement, nous avons bien meublé la conversation, non seulement de conversations sur le livre, mais aussi sur la vie, la guerre, nos autres lectures et les autres romans de Chimamanda Ngozi Adichie. Justement, si vous avez envie d’en découvrir un peu plus sur l’auteure, voici quelques suggestions.
À notre prochaine rencontre, on se retrouvera dans un tout autre univers en découvrant — ou en redécouvrant — Annie Ernaux à travers L’Événement et La femme gelée.