Auteur : Clara Lagacé

Tout doit changer, et vite

Naomi Klein est une tête d’affiche du mouvement altermondialiste et anti-globalisation. Auteure, activiste et cinéaste, elle travaille sans relâche. Devenue célèbre avec son essai No Logo, paru en 1999, qui porte sur les fabriques de vêtements qui exploitent les travailleurs dans des conditions terribles (Nike reste l’exemple le plus célèbre), Klein a fait paraître un autre essai-choc en 2014 : Tout peut changer  (titre original : This Changes Everything: Capitalism vs. the Climate). Traduit chez Lux éditeur par Nicolas Calvé et Geneviève Bélanger, le livre pose l’hypothèse que le modèle économique néo-libéral actuel est irréconciliable avec les efforts nécessaires pour freiner les méfaits des changements climatiques puisque le néo-libéralisme promeut l’hyperconsommation, tant des ressources naturelles que des produits créés par l’humain. Bref, notre système est en « guerre contre la vie sur Terre » (4e de couverture). Son argument est fort convaincant, ce qui le rend d’autant plus inquiétant. Journaliste de formation, Klein a travaillé pendant plusieurs années à la recherche pour cet essai. Le résultat est époustouflant. Avec des exemples provenant de tous les continents, Klein …

Espièglerie et sensualité : découvrir Colette un siècle plus tard

Jean Cocteau, célèbre dramaturge et grand ami de Colette, a affirmé que cette dernière était inapte à distinguer le bien du mal. L’œuvre de Colette (1873-1954) s’intéresse au bon, au tangible, et surtout, au sensuel. Célèbre pour ses écrits controverses et sulfureux comme Le blé en herbe (1923), un roman sur une relation incestueuse entre un jeune garçon et sa belle-mère, et Le Pur et l’Impur (1932), sur l’homosexualité, Colette étonne toujours, un siècle plus tard. Mais c’est depuis la parution de son tout premier roman, Claudine à l’école (1903), que la romancière a cette réputation. Ainsi, « plusieurs ligues pour la défense de la morale publique ne cessent de dénoncer Claudine à l’école » (d’après la biographie de Colette par Francis Gonthier) à la suite de sa parution. Claudine est plus dangereuse que les suffragettes, selon certains, puisqu’elle revendique le droit au plaisir. Par sa représentation positive de plusieurs formes de désir jugées immorales à l’époque (l’homosexualité, l’attirance pour un homme d’âge mûr, etc.), Colette choquait plusieurs de ses concitoyens. Femme à la vie rocambolesque pour l’époque …

Une curieuse histoire d’amitié : L’homme blanc de Perrine Leblanc

Kolia n’est pas un enfant de cœur. Il vole, se bat et boit. Mais il est très attachant. Ayant grandi dans les goulags de Staline, c’est par chance qu’il apprend à lire. Iossif, un prisonnier d’origine suisse, lui apprend à lire le russe et le français. Il lui apprend surtout le goût des mots. Un jour, Iossif disparaît. On ne lui dit pas pourquoi, ni où il est allé. Lorsqu’il est finalement relâché du goulag, Kolia est presque un adulte. Il se rend à Moscou où la soeur d’Iossif l’aide à s’établir. Il devient clown. Il devient l’homme blanc, le mime silencieux, le clown muet. « Dans la Zona il dirait aux autres prisonniers : J’ai volé pour la première fois à l’âge où les enfants apprennent à lire. C’était sa façon de résumer les premiers temps de son art. Il s’appelait Nicolas mais tout le monde le surnommait Kolia. En prison, après l’implosion de l’Union, il découvrirait la pérennité de certaines conditions d’existence dans les enclos, où les hommes devenaient des bêtes marquées. Il …

Bonne fête Montréal!

Montréal, c’est… Le territoire non-cédé des Kanien’keha:ka (Mohawk), un endroit qui a longtemps servi comme lieu de rencontre et d’échange entre les nations. 1,8 million d’habitants : 40% francophone, 11% anglophone et 33% allophone. Une des deux seules villes, avec New York, où on ne peut pas tourner à droite sur une lumière rouge en Amérique du Nord. Une ville cycliste! (ou presque…) Le CH, club de hockey aimé par tous.tes! C’était les Expos, c’est de plus en plus l’Impact. Tellement de parcs! Heureusement qu’on peut patiner à cœur joie au parc Lafontaine en hiver et se faire des pique-niques arrosés au parc Jeanne-Mance l’été. Un métro qui ne fonctionne jamais assez tard pour nos sorties et rarement les matins qu’on a vraiment besoin d’être à l’heure! Tellement d’autres choses! Pour vous, c’est quoi Montréal? Vous allez bientôt être tanné.es d’en entendre parler, mais oui, Montréal va avoir 375 ans cette année! Afin de célébrer l’occasion et de réfléchir à cette ville où plusieurs d’entre nous habitent, les fileuses vous ont préparé une série d’articles sur …

La répression politique au Québec : apprendre à y faire face

La Commission populaire sur la répression politique (CPRP) est un collectif militant autonome qui s’est donné comme mission de « documenter la répression politique exercée au Québec et de sensibiliser divers publics à la question ». Étouffer la dissidence : vingt-cinq ans de répression politique au Québec est un compte-rendu de leur projet. Le livre vient tout juste de paraître chez Lux. L’ouvrage commence par expliquer la démarche populaire de la CPRP, puis fait un (très) bref survol de la répression politique au Québec depuis le début des années 1990. Ensuite suivent les chapitres sur les différentes formes de répression politique : la répression policière, la répression privée sur les campus, la répression judiciaire, la répression par les discours publics et le profilage politique. Pourquoi parler d’un tel livre ici? C’est quand même pas mal loin de la littérature. Certes, mais est-ce loin des livres qui peuvent nous faire du bien? Pas pour moi. Laissez-moi vous raconter une tranche de vie pour mieux m’expliquer. En 2012, j’étais étudiante en cinéma au Cégep de l’Outaouais. Les …

Les murailles : un roman qui chauffe le cœur

En avril dernier. Marjorie a lu Les murailles d’Érika Soucy. Aujourd’hui, j’ai décidé de vous en reparler, parce que vraiment, c’est un des incontournables de 2016. Paru chez VLB éditeur (2016), le roman continue de creuser des thèmes déjà abordés par l’auteure dans ses deux recueils de poésie précédents, publiés chez Trois-Pistoles : Cochonner le plancher quand la terre est rouge (2010) et L’épiphanie dans le front (2012). On y retrouve le paysage de sa Côte-Nord natale où sont dépeints des gens ordinaires. Toujours dans la même veine que ses recueils de poésie, dans son premier roman, Soucy emploie une langue crue, voire « une oralité très brute ». Les murailles raconte le court voyage d’une jeune écrivaine (difficile de ne pas superposer Soucy elle-même à la narratrice du roman) au chantier de la Romaine. Ayant grandi avec un père absent, toujours parti travailler sur les grands chantiers du Nord, la narratrice part à la rencontre de ce monde qui lui a enlevé son père pendant tellement d’années. La fille à Mario prend donc l’avion …

L’amour en sourdine dans la toundra

Le roman La nuit sur les ondes (titre original : Late Nights on Air) d’Elizabeth Hay aura toujours une place privilégiée dans mon cœur. Je l’ai lu en anglais quelques années après sa parution en 2007 et je l’ai relu récemment pour retrouver les personnages qui ont tellement envahi mon imaginaire au Cégep. Traduit par Hélène Rioux aux éditions XYZ, il est maintenant offert en français. Aux Territoires du Nord-Ouest, dans les années 1970, une communauté de personnages se lie d’amitié, d’amour ou d’animosité. Ils se connaissent et font partie de la même communauté parce qu’ils travaillent tous à la station de Radio-Canada de Yellowknife. Dido Paris, mystérieuse femme fatale, annonce les nouvelles de sa voix sexy et accentuée par sa langue maternelle, le néerlandais; Harry Boyd, DJ qui a déjà été célèbre, anime maintenant les ondes la nuit au bout du monde; et Gwen Symon a conduit d’Ottawa à Yellowknife juste pour réclamer un poste à la station. Ces trois personnages (et les autres que je n’ai pas pris le temps de décrire) forment la …

Entrevue avec Le bruit des plumes

Le bruit des plumes c’est une nouvelle entreprise de services linguistiques cofondée par Gabrielle Rousseau et Vickie Vincent. Toutes deux installées à Trois-Pistoles, c’est à partir de ce village mythique bas-laurentien que les deux jeunes femmes pilotent leur projet depuis 2015. Une « entreprise mi-sérieuse mi-givrée, qui partage son temps entre suivre avec bonheur le régime rigide de la langue et contourner les règles sans scrupule, mais avec tout autant de plaisir. » LE FIL ROUGE : Pourquoi Le bruit des plumes? GABRIELLE : Lorsqu’on le décortique, on peut déceler plusieurs sens. D’abord, les « plumes » font autant référence à Vickie et moi, à notre écriture, qu’à celle de nos clients, des textes sur lesquels on travaille. Le « bruit », quant à lui, peut renvoyer au message d’un texte qui se propage, au retentissement d’une courtepointe de mots qui fonctionne, qui entraîne l’effet escompté. Parce que c’est ce qu’on cherche à faire lorsque l’on rédige; on veut convaincre, accrocher, percuter. Le « bruit », au contraire, peut aussi être ce que l’on doit …

Le plaisir de lire les journaux intimes des autres

Lire les journaux intimes des autres; quelle idée! C’est un de mes cauchemars que quelqu’un décide de poser ses yeux indiscrets sur mes pensées, observations et séances de chialage bien personnelles. Pourtant, lorsque c’est à mon tour de lire ceux de certaines auteures que j’admire, aucune hésitation, j’y plonge sans retenue. Voici mes deux préférés. Le journal de Marie Uguay, publié en 2005 aux éditions Boréal et rendu disponible par Stéphan Kovacs, celui qui fut le conjoint d’Uguay, est une expérience immersive extraordinaire. Le Journal a été écrit de 1977 à 1981, donc à partir du moment où on a amputé la jambe de la jeune cancéreuse jusqu’à quelques semaines avant sa mort précoce, à l’âge de 26 ans. On entre carrément dans la tête de la jeune poète! L’univers poétique intensément intime de l’auteure, raconté dans sa voix simple, acquiert une nouvelle dimension grâce à ce journal. Composé de plusieurs cahiers, le journal témoigne d’un regard curieux et sans cesse émerveillé sur le monde. J’admire tellement cette fascination pour le merveilleux dans le quotidien …

Des héroïnes inspirantes (suite)

Pour faire suite à un article écrit par Gloria en janvier dernier et pour relancer la discussion et le ressassement de souvenirs de jeunesse, j’ai décidé de vous présenter ici d’autres héroïnes littéraires qui nous inspirent. Fanie propose Harriet l’espionne. Paru en 1964, ce roman, écrit et illustré par Louise Fitzhugh, présente une jeune fille de onze ans qui vit dans l’Upper-East-End de New York et veut devenir écrivaine. Une fille de routine qui refuse de manger autre chose que des sandwichs aux tomates, Harriet espionne ses amis et camarades de classe, prenant soigneusement des notes dans son carnet chéri. Têtue, imaginative et honnête, Harriet est un modèle de persévérance quand tout semble aller mal. Martine propose Matilda et Fifi Brindacier, sur lesquelles elle a d’ailleurs déjà consacré un article chacune. Héroïne du roman éponyme paru en 1988, Matilda est une petite fille douée d’une intelligence hors pair qui adore jouer des tours et lire des livres. Parents peu présents et directrice d’école tyrannique n’arrêtent pas l’enthousiasme et les pouvoirs de télékinésie de cette petite fille, qui …