Laurie est habitée par un double malaise. Celle qui vit avec ses parents dans un petit quatre et demi à Québec a honte de leur vie modeste, de leur travail, l’un garagiste et l’autre surveillante à la guérite d’un stationnement d’hôpital, mais elle éprouve aussi une gêne devant tant de déshonneur envers ces êtres bienveillants qui ne désirent que son bonheur et une vie meilleure pour leur enfant:
« Je venais tout juste de découvrir, en le formulant pour la toute première fois de ma vie, que je ne voulais pas ça, que je ne voulais pas finir là. […] Que mon idée de ce qu’était un vrai travail ne s’était jamais accordée à cette prison mal payée. Que j’avais établi, à mon insu, une hiérarchie sociale qui plaçait ma mère tout au fond. Que j’avais peur de ce fond comme d’une maladie honteuse. Et que j’avais confusément honte de ma peur. » (p. 51)
Un désir de dépassement
Laurie se met souvent à rêver, s’imagine ce que serait la vie dans d’autres circonstances que la sienne, un peu comme sa mère à travers les nombreux livres qu’elle dévore. Elle rêve d’un appartement magnifiquement décoré de cimaises et de moulures, elle désire en fait mener une vie plus aisée, elle qui n’a connu ce milieu que de loin, de la position de serveuse prenant les commandes de ces détenteurs de costumes chics et de voitures de luxe. Ce malaise de ne pas appartenir à la bonne classe sociale sera accentué quand elle fera la rencontre de Romain, ce jeune étudiant universitaire en médecine vétérinaire:
« Il habitait une maison, une vraie. Pas un appartement en sandwich dans un immeuble étriqué, mais une structure entièrement libre, percée de fenêtres de tous les côtés. […] Même si je ne voyais rien de la cour, j’ai pensé qu’on devait pouvoir y trouver, en été, un pavillon pour prendre le thé, des bancs aux pieds sculptés, des fleurs, des tonnes de fleurs parfaitement agencées […], des trucs rares qu’un jardinier spécialisé bichonnait avec des gants en peau de lézard pour ne pas s’empoisonner. Les poutines que nous rapportions m’ont tout à coup semblé bien vulgaires. » (p. 135-136)
Confrontée à la richesse des autres qu’elle perçoit comme synonyme de bonheur ultime, Laurie cherchera à préparer son avenir du mieux qu’elle peut tout en voulant conserver ses valeurs et ses principes. Elle tente d’accéder à ce mieux-être, mais les obstacles communs à cet âge (les difficultés rencontrées lors d’un nouvel emploi, la complexité des relations amoureuses, la conciliation travail/études, le manque d’estime de soi, etc.) s’enchaînent, la laissant parfois en crise de larmes dans sa voiture que son père a rafistolée pour elle.
Refuser les injustices
À plusieurs reprises, nous découvrons une jeune femme en colère, frappée par les injustices qu’elle observe au quotidien, que ce soit Cindy, la petite voisine malmenée, dont les parents ne prennent pas soin, ou encore le sexisme ambiant qu’elle constate au garage de son père ou dans le restaurant pour lequel son amie Sonia travaille. Elle éclate, se fâche, déchire ce qu’il y a à déchirer. Elle a une capacité de réagir et une force de caractère qui lui permettent de s’affirmer, même si ses actions ne sont pas toujours bien calculées et que cette impulsivité se joint bien souvent au regret.
Laurie a le comportement d’une adulte encore marquée par les restes de l’adolescence, cherchant à s’affranchir et à déterminer ce qu’elle veut pour son futur proche. Les échecs ne la font pas abandonner, ils la rendent plus forte et l’aident à voir plus clairement.
Redéfinir son rapport au monde
C’est lorsque la maladie s’immisce dans la vie d’un être aimé que Laurie reconsidère ce sentiment d’humiliation et d’infériorité qui la suit un peu partout. L’argent devient moins important, sa voiture aussi; le temps, quant à lui, vaut son pesant d’or. La famille, l’entraide des proches et l’amitié ont préséance sur la richesse monétaire, l’atteinte d’une classe sociale supérieure et la réussite scolaire, des éléments qui sont certes invitants, mais qui n’ont pas autant de poids que le soutien et l’amour des siens.
Cette œuvre de Marie-Renée Lavoie (autrice de La petite et le vieux, Autopsie d’une femme plate et Le syndrome de la vis) fait réellement du bien en raison des dialogues comiques qui parsèment les pages et de ce doux mélange de bonté et de simplicité qui se dégage des personnages. Grâce à leur grande capacité imaginative, ces derniers rêvent, s’inventent parfois un monde rendant leur vie, pour quelques instants, plus douce et plus belle.
Et vous, qu’est-ce qui vous fait rêver?
Le fil rouge remercie les Éditions XYZ pour le service de presse.